Pourquoi Nabil Karoui a-t-il décidé de quitter le pays ? Cette fuite est-elle en relation avec les récentes décisions du Président de la République Kaïs Saïed ? Que craint-il ? Tant de questions qui se posent autour de ce magnat des médias qui a pris l’habitude de se construire une image d’un leader politique.
L’histoire est digne d’un film hollywoodien. Alors qu’il mettait en avant, durant les élections de 2019, l’image d’un leader politique opprimé, Nabil Karoui, président du parti Qalb Tounès, a finalement pris la fuite en quittant illégalement le territoire tunisien vers l’Algérie.
En effet, l’information a été confirmée Nabil Karoui ainsi que son frère Ghazi Karoui, député gelé, ont été arrêtés, dimanche, alors qu’ils se trouvaient dans un appartement à Tébessa, une ville algérienne proche de la frontière tunisienne. Si pour l’instant, aucune partie officielle, ni algérienne ni tunisienne, n’a donné de détails sur son arrestation, l’ancien candidat à la présidentielle aurait été arrêté en compagnie de trois autres personnes dont son frère.
D’ailleurs, selon plusieurs médias algériens, il serait poursuivi pour franchissement illégal des frontières, dans la mesure où le concerné n’est pas passé par les points de passage réguliers pour pénétrer dans le territoire algérien.
L’arrestation, selon des sources locales, a eu lieu, en effet, dans un appartement situé au centre-ville de Tébessa à une centaine de kilomètres de la frontière tunisienne. Celui-ci appartiendrait à un ancien député algérien, une vieille connaissance des frères Karoui. “Les sécuritaires algériens ont repéré les mouvements des frères Karoui au niveau des frontières. Ils ont tenté de se rendre en Algérie en cachette, sans passer par le passage frontalier”, précisent ces sources.
En outre, certaines sources évoquent que les deux frères Karoui devraient comparaître devant le juge d’instruction d’un tribunal de cette ville pour franchissement illégal des frontières du pays.
Mais pourquoi Nabil Karoui a-t-il décidé de fuir le pays ? Est-il en relation avec les récentes décisions du Président de la République Kaïs Saïed ? Que craint-il ? Tant de questions qui se posent autour de ce magnat des médias qui se construisait toujours une image d’un leader politique.
Sauf que le plus important est de savoir comment les frères Karoui sont-ils parvenus à quitter le pays, alors que la Tunisie impose des restrictions de voyage aux hommes d’affaires, aux hauts responsables et aux députés. En tout cas, certaines sources évoquent une complicité de la part d’individus en Tunisie. D’ailleurs, les unités de la Garde nationale à Thala, dans gouvernorat de Kasserine, ont réussi à arrêter, hier, un dealer soupçonné d’avoir aidé le chef du parti Qalb Tounes Nabil Karoui et son frère à quitter le pays vers l’Algérie. Les enquêtes se poursuivent toujours afin d’arrêter un deuxième individu impliqué dans une affaire de drogue et de savoir s’il s’agit de tout un réseau qui a aidé les frères Karoui, introuvables depuis le 25 juillet, à quitter le pays.
L’Algérie, un pays de transit ?
Et si l’Algérie n’était qu’un pays de transit pour les frères Karoui ? Des sources locales rapportent également qu’ils avaient l’intention de rejoindre le Maroc en passant par l’Algérie avant qu’ils ne soient arrêtés.
Cette arrestation enfonce le clou en ce qui concerne l’avenir politique du parti Qalb Tounès. Cette formation politique construite autour d’un projet caritatif mené par Nabil Karoui s’affaiblit davantage. Même ses leaders ignorent pour le moment le sort de leur président qui semble avoir quitté la baraDéfinir l’image mise en avantque au moindre conflit. Oussama Khlifi, président du bloc parlementaire du parti, prend toujours la défense du fondateur de Qalb Tounès. Lui qui affirme ne détenir aucune information sur Nabil Karoui estime que ce dernier est ciblé par la justice. « Depuis que Nabil Karoui s’est intéressé à la politique, les poursuites judiciaires sont devenues son quotidien. Il a été libéré quatre jours avant l’élection présidentielle », a-t-il rappelé.
Pour sa part, le dirigeant au sein d’Ennahdha Abdellatif Mekki s’est interrogé sur les agissements de Nabil Karoui en tant que leader politique. « Pourquoi fuir en Algérie s’il est convaincu de son innocence ? Et puis, s’il n’en est pas convaincu qu’il se présente à la justice. Je conseille à tout le monde de ne pas se cacher ou fuir à l’étranger et de se livrer à la justice. L’innocence sera prouvée même après un certain temps. Je souhaite et appelle à la séparation entre le monde politique et celui des affaires », a-t-il déclaré.
Même son de cloche chez le député du bloc démocratique Hichem Ajbouni qui a commenté l’arrestation des frères Karoui sur sa page Facebook. Il a à cet effet dénoncé la fuite de l’homme d’affaires étant donné que ce dernier (ainsi que ses sympathisants) ne cessent de proclamer son innocence et que logiquement, s’il n’a rien à craindre, il n’a pas à fuir le pays. Et d’appeler en même temps à un procès « équitable et impartial loin de toute pression et de toute tentative de rétorsion ».
Vers une extradition ?
Est-il possible d’extrader les frères Karoui en Tunisie ? Ce genre d’affaire est régi par des conventions judiciaires entre les deux pays. D’ailleurs, selon le journal algérien l’Avant-garde, le président de Qalb Tounes, ainsi que son frère, Ghazi, seront vraisemblablement livrés à Tunis et ce, dans le cadre d’un accord d’échange de réfugiés.
Toujours selon la même source, cela se fera en échange de l’extradition du réfugié politique algérien Slimane Bouhafs, qui réside en Tunisie depuis 2018.
Nabil Karoui est poursuivi en Tunisie pour une affaire de blanchiment d’argent. Depuis les évènements du 25 juillet, il était introuvable, son parti considère Kaïs Saïed comme un adversaire politique. Le 15 juin dernier, Karoui avait été libéré, le juge d’instruction près le tribunal de première instance de Tunis avait accusé trois experts chargés de l’expertise financière sur les activités de Nabil Karoui de falsification de documents.
Une interdiction de voyage était imposée à Nabil Karoui, président de Qalb Tounes, et à son frère Ghazi, depuis juillet 2019. Elle avait été levée en juin dernier. Celle-ci était en vigueur lorsque le juge d’instruction près le Pôle judiciaire financier avait décidé d’interdire aux frères Karoui de se déplacer et de geler leurs fonds.
Rappelons qu’un mandat de dépôt a été émis à son encontre, le 24 décembre 2020, après qu’il a été entendu pour des soupçons de corruption financière et d’évasion fiscale.